L'avion a atterri à 20H30. Je n'avais déjeuné que d'un sandwich depuis longtemps assimilé. F*** était absente. Le frigo recélait des merveilles mais j'avais la flemme de préparer de la cuisine. Nous étions le 10 mars 2021.
Je me suis assis confortablement sur le canapé sous le regard grognon de Smirnov la chatte de plus en plus solitaire. J'ai allumé la télévision et Robert Badinter était sur l'écran, interrogé avec componction par un François Busnel visiblement intimidé.
D'emblée la discussion m'a happé et j'ai été ému et même secoué par la profondeur et la pudeur de l'avocat qui a parlé de sa vie, de la littérature, de la judéité, de l'Holocauste et de ses pièces de théâtre avec retenue, modestie et... passion. Pas d'exhibitionnisme, pas d'apitoiement. Une maîtrise et une dignité qui m'ont faites regretter d'avoir parfois pensé -et dit- du mal de cet homme assez exemplaire.
Qu'il parle de Pierre Laval ou de René Bousquet il est à la fois passionné et mesuré. Même son dégoût visible pour ces deux salauds reste mesuré. Comme circonscrit. Badinter parle bien, sur un ton maîtrisé et en employant le vocabulaire qu'il faut. On le comprend aisément et ce qu'il dit est à la fois logique et irréfutable.
Lorsque le journaliste qui l'interroge aborde le génocide des Juifs par les nazis on sent chez l'homme habitué des tribunaux comme une émotion indicible, une difficulté à parler de quelque chose à la fois atroce et presque "incroyable". Robert Badinter sait la faculté d'oubli de l'Humanité et semble redouter qu'après la disparition du dernier persécuté par l'Allemagne hitlérienne la transmission risque d'être chaotique. Il s'en inquiète sans doute et semble à fleur de peau sur ce sujet.
Le comédien Vincent Lindon est venu lire un texte de R.Badinter (extrait de la pièce sur Laval et Bousquet). C'était un moment paralysant où l'émouvant aurait pu sombrer dans le ridicule, le tragique devenir du pathos. Il n'en a rien été et le plateau de "la Grand Librairie" était comme suspendu aux intonations justes de Lindon.
L'émotion passée l'émission est subitement redevenue ce qu'elle est trop souvent: un lieu de rencontre entre happy fews, un endroit de connivence et d'entre soi.
J'ai arrêté là de regarder pour rester sur l'émotion palpable que Lindon avait su faire naître et durer et ne pas m'agacer sur le "tout-venant" télévisuel.