Malgré tout le mal (et le bien) que l'on peut penser de Roman Polanski on ne peut lui dénier le droit de parler du génocide des juifs en Pologne, évènement qu'il a vécu enfant.
C'est pourquoi lorsqu'il a adapté "le pianiste" en 2002 les réserves de certains étaient indignes et surtout injustifiées. Surtout à priori.
Il faut dire que, derrière l'excellent Claude Lanzmann, réallisateur du film exceptionnel "Shoah" toute une école a décrété que le cinéma de fiction (ce qui voulait dire "commercial") était à jamais disqualifié pour représenter le génocide Juif.
Gardiens du temple et quel que soit l'angle utilisé pour en parler l'auteur se voit accueilli par un barrage d'artillerie médiatico-intellectuel qui l'écrase.Intimidation, mauvaise foi, mensonges même, l'audacieux est vite remis à sa place et se couvre de cendres en se repliant.
Des personnes comme Steven Spielberg ("La liste de Schindler") et Roman Polanski, peu suspects de mauvaises intentions, ont été victimes de ce terrorisme culturel et intellectuel.
Cette parenthèse étant refermée je reviens au "Pianiste" qui est un film à la fois glaçant et prenant. A l'image de son interprète principal, Adrian Brody, ce n'est pas un film séduisant. C'est un film râpeux et dérangeant qui laisse peu de
moments de répit. Il y a un crescendo dans l'angoisse qui correspond à la progression historique du génocide lui-même et de la présence allemande en Pologne. Chaque date correspond à une "aggravation" de la situation.
Tout est vécu par le regard de Wladislaw Szpilman qui voit son monde s'effondrer et l'humanité revenir aux temps de la barbarie primitive.
Polanski ne nous épargne pas les chocs de cette barbarie en marche (éxécutions, massacres, meurtre d'un enfant, déportations brutales, scènes de guerre et de cruauté) mais elles ne sont jamais "gratuites".
Il prend d'ailleurs soin de montrer d'autres aspects de cette période et, c'est un exemple, le partage du caramel par la famille au moment où celle ci va être anéantie est une magnifique scène de cinéma.
Des scènes marquent l'esprit et s'incrustent dans votre mémoire pour toujours. la jeune femme qui demande à un SS où ils "les emmènent" et qui est abattue à bout-portant, l'enfant qui est assassiné dans le mur du ghetto, la femme qui est mitraillée par les Allemands et dont le cadavre reste pendant un long moment dans la position étrange dans laquelle la mort l'a saisie, la vision de fin du monde du ghetto après sa destruction, la crémation des 5 ou 6 cadavres comme s'il s'agissait de bûches...).
Polanski s'est interdit toute mièvrerie. Il a fui la démonstration et plus encore la leçon d'histoire.Cependant je n'aime pas trop la fin du film (tirée de la biographie de Szpilman donc d'une histoire vraie) qui voit un bel officier ennemi qui, lassé des massacres? touché par la détresse du pianiste? ébloui par son talent artistique? les trois?)
l'aide à tenir jusqu'à l'arrivée (imminente) des Russes. C'est une scène qu'on n'aurait pas osé inventer et qui est presque, de mon point de vue, génante. (ah...l'ouvre-boîte et la confiture...) A ce moment cependant et comme dans tout le récit le pianiste subit encore, effaré par la folie dont il est le témoin. Ce monde inversé où il n'a pas sa place.
cette dernière partie, lente et froide, qui voit le temps passer par des détails qu'on note sans y prêter attention (la lumière à la fenêtre, la barbe qui pousse) ne remet pas en cause la qualité des images et des dialogues, la mise en scène inspirée et retenue et la force phénoménale du sujet qui nous touche intimement. Brody joue à la perfection mais, personnellement, il me déplaît sans que je puisse expliquer pourquoi.