Il y a beaucoup de plaies de notre époque, ici et maintenant, qui sont solidement installées et dont,
pourtant, on ne saurait donner une date ou une période pour leur apparition.
Et encore moins une autre pour leur disparition.
Exemple ces quémandeurs qui vous assaillent absolument partout. J'en ai compté cinq en moins
de 20 minutes ce matin au marché.
"Bonjour Monsieur, vous n'avez pas de la monnaie pour me dépanner"?
D'aucuns sont assis par terre, un bout de carton expliquant leur situation, d'autant plus
catastrophique qu'exprimée avec des fautes de Français ou d'orthographe.
Tout ce qui est censé nous émouvoir (pas de toit, de nombreux enfants, des injustices ou coups du
sort dont ils sont victimes) est inscrit sur ce CV modèle non conforme et rédigé dans l'urgence.
C'est certain il n'y a pas d'atelier pour apprendre à rédiger des cartons émouvants formatés et
efficaces.
De plus en plus de ces mendiants modernes s'expriment dans une langue que nous ne comprenons
pas. On dirait parfois qu'ils "inventent" un langage pour attirer notre attention et déclencher notre intérêt
et donc notre générosité.
Il y a ceux qui essaient la note d'humour ("Pour acheter du caviar", "pour jouer au casino" ou "pour aller
voir les filles") et ceux qui sont concrets ("j'ai faim").
Il y a ceux qui essaient de nous attendrir avec une ménagerie choisie (le petit chiot craquant, le chat
affectueux) et, hélas, les femmes avec bébé endormi qui doit déclencher le même geste de don de
notre part.
Je vois aussi des artistes qui égaient ou tentent d'égayer notre attente aux feux rouges avec des nez
rouges ou des numéros de jonglage sans oublier celles et ceux qui chantent ou nous vrillent les
oreilles avec un accordéon ou un violon.
Je comprends que ces personnes soient réduites à cet expédient qui doit être douloureux et humiliant
mais je sais aussi que leur nombre nous blinde et qu'ils finissent par obtenir de notre part le contraire
de ce qu'ils attendent.
En lieu et place de notre compassion ils récoltent notre agacement (dû au nombre de fois où nous
sommes importunés) notre ennui (c'est pénible de devoir refuser), notre honte (c'est indigne de fuir)
et notre gène (on aimerait bien ne pas être perpétuellement importuné ainsi).
La situation a évolué pendant des années et semble maintenant impossible à faire évoluer. Les
centre-villes sont pleins de personnes qui vivent de la mendicité et l'Etat ne peut ni ne veut rien faire.
Les éloigner pour des raisons touristiques ou esthétiques comme le font certains maires est une
indignité.
Bref je n'ai pas de solution et personne n'en a.
Nous devrons encore longtemps (toujours?) vivre avec ce désagrément qui dure. Comme les
vendeurs de roses dans les restaurants, la fouille méthodique aux aéroports, le péage des autoroutes
ou l'abrutissement programmé par la télévision* on sent que ça ne changera plus.
* On peut regarder "Arte" qui, seule, s'adresse à notre intelligence. Ce dimanche midi un doc
remarquable sur l'Olympia de Manet. Une heure d'intelligence et de passion. A prendre par les temps
qui courent!