Beaucoup l'ont dit et écrit, voire filmé avant et mieux que moi. Une maison possède parfois une véritable personnalité et lorsqu'elle est vendue elle semble donner le meilleur d'elle-même en guise d'adieu.
Pierre et Marie sont morts l'un en 2012 et l'autre en 2014. Ils n'étaient vieux ni l'un ni l'autre et leur disparition en plein été a été une épreuve si cruelle et si "soudaine" que personne, parmi leurs proches, n'en est encore revenu. Marie n'avait pas cinquante-cinq ans et sa personnalité manque quotidiennement à ceux qu'elle aimait.
Marie et Pierre étaient tombés amoureux d'une grande et belle maison en pierre de taille, lovée près du Gers et située à la sortie de la petite ville d'A***. Amoureux! il fallait au moins ce sentiment qui transporte mais qui, souvent, trouble la vision et pare l'être aimé ou, comme ici, la chose aimée de vertus qu'elle ne révèlera pas toujours pour qu'ils achètent cette vaste propriété.
Cet amour-passion du départ, ce coup de foudre initial n'a jamais été démenti. Dieu qu'ils l'ont aimée, choyée, servie cette maison.
Chacun les aidait à sa façon: je taillais les haies, ni droites ni régulières tandis que d'autres refaisaient une clôture, la peinture, les volets ou le "pigeonnier". Naturellement Pierre, perfectionniste multitâches donnaient la meilleure part et s'attelait à tous les travaux. Ébénisterie, maçonnage, plomberie, étanchéité, jardinage, taille des arbres, pose de fenêtres ou d'étagères...
D'ordinaire une maison de campagne n'est qu'une succession de travaux, tous urgents. La leur trépignait littéralement tant il y avait à faire. Pierre s'y est épuisé. Littéralement.
Marie travaillait beaucoup et sa passion (et ses talents) étaient surtout consacrés au gigantesque jardin qu'ils ont mis plus de vingt ans à domestiquer. Je ne m'étendrais pas sur la variété de fleurs et de fruits qui furent plantés et recueillis à A***. On en repartait toujours avec un panier plein et des bouquets qui embaumaient la voiture.
Malgré ce travail incessant les innombrables portes de la propriété, jardin et maison, étaient toujours ouvertes. Il y avait des tables grandes comme dans les auberges d'autrefois et la table était bonne et elle aussi ouverte.
Quels cuisiniers! quelle maîtresse de maison, quel bricoleur! quelle hôtesse. Cette maison semble, aujourd'hui encore, vivre sur ce passé à la fois récent et déjà lointain. Comme si le souvenir de ces bons moments tardait à s'effacer.
Depuis leur disparition la vente de la maison s'est imposée. Leur rêve était trop personnel et il est inachevé. Impossible de se mettre dans leurs pas. Leur fille aînée a bien essayé mais c'est une tâche trop ardue et financièrement hors d'atteinte. Nous disions que seuls, un couple qui éprouverait un coup de foudre similaire à celui de Marie et Pierre était susceptible de prendre la suite.
C'est arrivé. Un homme et une femme, sans doute téléguidés de "là-haut" par mes amis Pierre et sa femme viennent de l'acheter après en être eux aussi tombés amoureux. Ils en parlent comme d'une personne et la personne en question est la même que celle d'il y a vingt ans.
Alors nous aidons Amélie à la vider, nous l'aidons à désigner ce qui va aux vide-greniers, ce qui va aux enchères etc. C'est à la fois drôle et triste. Qu'ils en avaient accumulés des choses!
Ce dimanche la maison était plus belle que jamais. Le soleil la mettait en valeur comme pour la faire encore plus regretter. Les arbres étaient splendides et cet après midi d'été était un écrin digne du rêve de ce couple de nos amis qui a été si beau et si grand.
Il me sera difficile, lorsque les nouveaux propriétaires en auront pris la direction, de passer devant. Déjà la tristesse m'envahit lorsque j'oublie, un fugace instant que non, Marie ne va pas sortir du "Loft" ou de la cuisine, un ciseau à la main, pour couper de la ciboulette alors pensez: quand je ne pourrais plus fouler les allées de cailloux blancs que j'ai tant de fois ratissées...