Thomas Legrand est ce spécialiste journalistique de la vie politique française qu'on entend tous les matins sur France Inter, dont on lit les livres juste après les élections et qui, je l'ai découvert par hasard, réalise des documentaires sur ce sujet avec un certain brio dû à une exigence déontologique.
"Instincts Primaires" est un film d'une heure et demie consacré aux primaires de la droite et du centre qui vit s'affronter, lors de la dernière élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, François Fillon, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé, Jean-Frédéric Poisson et Bruno Le Maire. C'est un document rare qui montre certaines coulisses (la bêtise insondable des "fans", les manœuvres peu démocratiques de Sarkozy et de son entourage, les illusions de certains, les erreurs stratégiques et les enjeux de la primaire).
Evidemment, après coup et sachant qu'Emmanuel Macron a été élu Président de la République Française en 2017 il est facile de rire de certains raisonnements ("Bruno Le Maire est trop jeune pour être élu, il joue le tour suivant"), d'être narquois devant le culot de N.Sarkozy ou gêné par les illusions de l'entourage de Juppé, bercé il est vrai par deux ans de sondages trompeurs.
Curieusement, je l'avais constaté à l'époque, Jean-François Copé, carbonisé par les affaires et la palinodie de l'équipée de la Présidence de l'UMP n'avait plus rien à perdre et était donc moins langue de bois que d'habitude. A le voir dans une grosse et rutilante voiture avec chauffeur on comprend que s'il a dû limiter ses ambitions il n'a pas été contraint de baisser son niveau de vie!
Le film nous donne à comprendre ce monde peu attirant des partis politiques où se fracassent personnalités, ambitions, rêves et réalités. Thomas Legrand explique combien cette Primaire de la droite et du centre était casse-gueule parce que le résultat dépendait de deux inconnues: la participation et la typologie de cette participation. Or, jusqu'au 1er tour, on ne pouvait que faire de la prospective.
Un moment m'a heurté: celui où Thierry Solère (omniprésent en tant qu'organisateur) déclare face caméra en levant son verre: "à l'alternance" avec la conviction inébranlable qu'après Hollande la droite doit obligatoirement "récupérer" l'Elysée et donc la direction du pays. Il a la même conviction que Sarkozy: le pouvoir leur revient de droit.
Enfin le personnage de Fillon (est-ce parce que son image est définitivement ruinée?) apparaît comme falot, sans consistance, ennuyeux. Il croit à son programme et plus encore à ses chances. Quand arrive le fameux "Imagine t'on le Général de Gaulle mis en examen", boulet de canon contre Sarkozy mais aussi boomerang contre lui-même ultérieurement on saisit instantanément que c'est le point culminant de sa campagne des primaires mais aussi de sa campagne présidentielle tout simplement.
Un documentaire de haut niveau qui en apprend plus que des centaines d'articles et des heures et des heures de télévision.