Le théâtre Sorano est, à Toulouse, une véritable institution. A chaque rentrée, dans l'incroyable quantité de brochures théâtrales disponibles on se jette sur la sienne pour trouver ce qui, dans la programmation, nous fera y aller.
C'est aussi un théâtre auquel on se rend sur impulsion lorsqu'une pièce vous invite à venir la voir. La façade du théâtre est éloquente et sait attirer le chaland avec des spectacles qui s'avèrent toujours intelligents et sortant de l'ordinaire.
Prenez "le Tartuffe ou l'imposteur" que le Sorano distribuait ce vendredi 15 et samedi 16 septembre: c'est un grand classique du répertoire et Molière n'est pas, à priori, un choix casse-gueule de programmation.
J'avais vu que la pièce serait donnée le 15. La veille en passant sur les Allées en levant la tête et lisant le drap bariolé de rouge et de noir tendu sur le fronton du théâtre j'avais été attiré. Ce drap bariolé était une façon cavalière de dire que la pièce allait être modernisée.
Oh! pas le texte, non, mais la mise en scène, comme le laissait prévoir le feuillet d'accueil distribué à l'entrée: "dépoussiérage", "fractures du temps", "alternance", "aucun décor", "laisse aux acteurs le libre choix de leurs costumes", "horloge accrochée au mur, fond de scène face aux spectateurs car la pièce ne doit pas dépasser 1H30", "cartoon à l'américaine", "pétage de plombs grimaçants", "théâtre de l'urgence...telles étaient les expressions définissant cette version du "Tartuffe" pour lequel j'ai pris 2 places en me disant que "ça ne me plaira pas".
Le public était jeune et bruyant mais sympathique et heureux. Des parents avaient emmené leurs enfants pensant voir un classique genre mâtinées de la Comédie française.
Les lumières ne se sont pas éteintes et les deux premières minutes ont été déroutantes: des jeunes garçons jouaient des rôles de filles et des filles tenaient ceux d'hommes. Mais ce n'était pas systématique. Les "costumes" étaient réduits à leur plus simple expression: ils n'ont pas dû faire exploser le budget. Même chose pour le décor: la pendule et un tambour annonçant les actes. C'est tout!
Les jeunes interprètes connaissaient leur texte au cordeau et le disait vite, très vite. Ils en soulignaient le coté vers par des appuis répétés sur certaines syllabes qui les rendaient drôles. (par exemple les fins de vers en i-ons). Parfois ils chantaient des vers façon rap ou slam et du contraste entre la phrase très écrite et la scansion venait le décalage très amusant.
L'accent toulousain faisait merveille sur certains passages très écrits du texte de la pièce.
La pièce, en elle-même, est suffisamment forte pour supporter toutes les expérimentations, aussi hasardeuses soient-elles. Je dirais même que son aspect historique, son âge, étaient oubliés tant la mise en scène bouffonne et urgente la rendait moderne et d'actualité.
Pas de musique, pas de décor, pas d'accessoires, des jeunes comédiens ni beaux ni laids, ne jouant pas tous bien la comédie et pourtant une jubilation de la salle qui répondait à celle venant de la scène.
Je ne suis pas pour les mises-en-scène modernisées d'Opéra, pensant qu'on empêche la musique d'atteindre le coeur. Cette version échevelée du "Tartuffe" m'a donné envie d'aller voir ce que je refusais. Figaro en costume 3 pièces et la somnanbula de Bellini en jean rapiécé..