Une amie qui dirige une école primaire me racontait récemment que des parents affolés (mais, d'ordinaire, les parents sont-ils autre chose qu'affolés?) lui avaient téléphoné parce que leur enfant scolarisé chez elle en maternelle, section moyens, «pissait du sang».
Elle eut toutes les peines du monde à les rassurer. Leur idole avait mangé des betteraves au déjeuner et celles-ci peuvent colorer les urines.
A propos de betteraves elle me faisait remarquer qu'il y a une trentaine d'années celles-ci étaient la salade du plouc, des cantines et des selfs. Aujourd'hui elle fait fureur chez les hommes en chemise à carreaux de bûcherons qui ne jurent que par les Amap.
Ils détestent qu'on les appellent «bobos» mais ils forment une caste immédiatement reconnaissable et que cette appellation de «bourgeois-bohèmes» décrit assez bien.
Ils ont un pouvoir d'achat élevé mais adorent Ken Loach le cinéaste du prolétariat britannique.
Notez qu'ils adorent aussi Woody Allen qui n'a pas fait un film regardable depuis au moins vingt ans.
Ils roulent en Land Rover ou en BMW 4X4 série X et à vélo électrique. Ils habitent des quartiers autrefois populaires dont ils ont fait grimper la valeur immobilière: la Bastille à Paris, les docks à Londres ou Amsterdam.
Ils ont des enfants aux prénoms impossibles qui font des études poussées dans les meilleures écoles, en France ou à l'étranger et qui se destinent à des métiers bien rémunérés qu'ils aborderont dans les meilleures conditions, aidés par les relations parentales. La petite Jazz est aux States en stage chez son parrain qui a une start-up. Tout va bien.
Nos bobos qui refusent ce vocable, portent des chemises en jean de marque et des pantalons décontractés en velours de chez Barbour le week end; voyagent Air-France plutôt que Easy. Ils vont à Cape Cod plutôt qu'à Lanzarote.
Chez eux on mange des plats à base de légumes improbables (panais, carottes noires), des mixtures bizarres (émulsions, vérines) et on boit des vins «de petits récoltants amis».
On lit le Monde, on vote Mélenchon (si!) et on se retrouve dans le Luberon ou à Verbier et on se plaint des impôts tout en devisant sur la dernière saison à l'Opéra de Paris.
Le bobo trouve décidément Sarkozy «impossible» et se sent proche du maire de Bordeaux qui a «tant fait pour sa ville qui est devenue magnifique».
Il faut dire que l'on a acheté, en défiscalisation, un ravissant petit deux pièces avec vue sur la Garonne et un atelier aux Quiconces dans cette ville si bien gérée...
Le bobo ne trouve pas absurde de payer à son coiffeur des sommes dignes d'honoraires d'avocat et de payer les cadeaux pour le petit fils Charles des sommes qui feraient vivre une famille de Jakarta pendant 3 semaines.
Parallèlement on râle contre le racket fiscal.
L'île de Ré, bien que droitière, tient la corde tout comme le Lubéron. Cependant Barcelone, la Grèce et la Toscane voient les migrations familiales estivales. La glisse se fait en Suisse ou en Italie voire en Autriche car les Français sont trop «ploucs» pour être fréquentés.
On trouve Christine Angot ou Michel Houellebecq un peu pénibles mais ils sont dans la bibliothèque à côté de cette vieille barbe réac d'Ormesson («si élégant»).
Naturellement le fils Delerm tourne en boucle et en vinyl dans le salon au sol en ardoise ou en tek brossé.
Caricature? Ma foi! Dites moi que vous n'en connaissez pas....