"Mais regardez-vous donc
Un matin dans la glace
Patron du "Figaro"
Songez à Beaumarchais
Il saute de sa tombe
En faisant la grimace
Les maîtres ont encore
Une âme de valet"
(Jean Ferrat "Un air de liberté" 1975)
Une des fausses-valeurs de notre pays est ce doux papy aux yeux bleus
qui fait se damner la bourgeoisie près l'Ecole Militaire et jusqu'à Passy,
sans oublier les Quinconces à Bordeaux et le Cours Mirabeau à Aix.
Je veux parler du Comte Jean Bruno Wladimir François de Paule le
Fèvre d'Ormesson qui pousse la simplicité jusqu'à se faire appeler
presque famillièrement Jean d'Ormesson ou même, voyez jusqu'où va
la légèreté, Jean d'O.
Ce merveilleux vieil homme, qui ne s'est donné que la peine de naître
et d'épouser une héritière riche à millions (comme sous Louis XV!)
ravit les pages littéraires des journaux ou magazines dont il squatte
(avec élégance) les liste des best sellers avec des ouvrages plus vides
que le regard de Lara Fabian.
Ce cher Jean d'O , pendant les folles années du giscardisme triomphant
(car il y a eu des années de giscardisme triomphant!) dirigeait le journal de
la droite chic et discrètement fortunée, le "Figaro", célèbre pour n'accueillir
dans son "carnet" que des morts à pedigree ou, à tout le moins, anciens
élèves des Pont et Chaussées ou polytechnique.
Ce beau spécimen d'une France qui partit à brides abattues quand Gudérian
traversait les Ardennes ou l'a accueilli avec un Maréchal gâteux et des
chansons à texte a ainsi, pendant des années, fait du mougeotte avant
Mougeotte.
Je veux dire qu'il défendait la France éternelle, celle des châteaux, des
maisons de maître, des abbés en soutane et des prêtres "guides spirituels",
celles des chevaliers d'industrie et des maîtres de forges, celles des colonies
et celles des colonels et généraux à plumets et gants blancs.
Une invraisemblable audace, on le voit.
Une fois Giscard remisé au musée des produits régionaux d'Auvergne il lui
a fallu se reconvertir et son génie a été de se transformer en oecuménique
écrivaillon mi-philosophe (de salon) mi-romancier (de boudoir).
Avec sa plume trempée dans l'encre tiède, ses manières exquises de
vieux pas tout-à-fait sénile mais portant beau, son oeil bleu et sa voix de
travesti suisse il a conquis les médias qui l'ont jugé "bon client".
"Au plaisir de Dieu" c'est "La Recherche" au rabais. Il y a bien des nobles et
des châteaux mais une langue rabougrie et des personnages mesquins.
Il écrit (ou fait écrire) des livres à titres imbéciles ("le vagabond qui passe
sous une ombrelle trouée" étant son chef d'oeuvre dans ce domaine) qui
font se pâmer de plaisir une critique qui croit que Philippe Djian est un
rebelle et Patrick Modiano un écrivain.
Il vient faire de la figuration sur quelques plateaux de télévision où
l'imposture le dispute au vide et fait penser à ses téléspectateurs:
"Jean d'Ormesson n'est pas comme notre papy, il n'a pas de couches
et il n'essaie pas de toucher la bonne".
Comme Giscard, son idole à (fausse) particule Jean d'Ormesson est
persuadé d'être intelligent.
Peut-être même ces deux jolis octogénaires se croient-ils sympathiques?