Ce livre a eu un tel succès, on m'en a tellement parlé en termes élogieux que j'ai hésité à l'acheter. D'habitude quand j'ai envie d'un bouquin je ne fais pas de manière. Je vais à "Ombres blanches" la plus belle librairie de Toulouse ou, par chauvinisme de quartier à "l'autre Rive", celle du mien et j'achète celui que je convoite.
Là, la polémique entre "Marianne" et "Le Nouvel Observateur", le sujet et les pages que je lis rapidement à la librairie me disent de surseoir à l'achat.
Une voix intérieure me dit: "Tu as acheté deux livres ce mois-ci, Pascale t'a fait parvenir le Goncourt... commande le à la bibliothèque, ça ne te coûtera rien et si tu ne l'aimes pas tu n'auras pas de regret". Il faut parfois écouter sa voix intérieure.
A la biblio on me dit que le livre a beaucoup de succès et que les 4 exemplaires sont en mains et même retenus après. Je m'inscris quand même sur la liste d'attente et passe à autre chose.
""Au revoir là haut" de Pierre Lemaître qui devrait m'intéresser mais dans la lecture duquel je patine.
Un mail m'informe, le 1er mai (et on dira que les fonctionnaires ne bossent pas assez!) que "En finir avec Eddy Bellegueule" est arrivé (comprendre je peux venir le chercher, on me le garde) mais qu'il ne faut pas tarder pour le récupérer.
Entre temps Alain m'en a parlé d'une manière qui donne envie de le lire et, en le retirant à la bibliothèque, la dame qui me le remet me dit "qu'il est très bien, qu'elle l'a beaucoup aimé".
J'ai lu "Eddy Bellegueule" en 2 ou 3 heures et ai reçu un choc tant ce qu'il raconte m'est étranger. Ce milieu social, cette misère sociale, intellectuelle, physique, ce pays brutal, confit en règles intangibles, ces parti-pris, cette haine des autres,
cette méchanceté, cette cruauté, cet alcoolisme, cette résignation... tout m'a stupéfié. Cette lecture m'a rappelé le service militaire pendant lequel j'avais lu presque tout Zola. Même humanité hideuse et rabougrie, mêmes descriptions ou dialogues auxquels il est difficile de croire.
L'histoire de ce garçon est sans aucun doute vraie et sa quète racontée avec justesse mais, pour dire les choses crûment, on s'en fout. Le sujet du livre c'est son entourage, ces gens qui à l'ère du Net et des vols low cost ne quittent pas leur village, leur vie étriquée et leurs certitudes avilissantes.
Ce livre, par ce qu'il montre d'une partie de nos contemporains, des Français qui existent, votent, regardent la télévision et ont une vision du monde dessine un continent oublié des statistiques et des politiques. "Terra Nova", l'officine qui sert de boussole à la gauche Hollandaise les a oubliés et on comprend pourquoi.
On ne peut ni les aimer, ni les aider, ni les comprendre, ni les écouter. Un constat terrifiant et abyssal.
Edouard Louis, l'auteur, et c'est tout le paradoxe de cette histoire, a pu fuir ce milieu atroce parce qu'il était différent
(il est homosexuel). Son "combat" pour exister aurait brisé n'importe qui et continue certainement d'anéantir ceux qui sont restés. J'avais vaguement entrevu ce monde en lisant le livre que Florence Aubenas avait écrit sur l'affaire d'Outreau. Apparemment ce monde là est plus important et prégnant qu'on ne le croit.