J'ai avec les livres un rapport qui oscille entre la passion et la vélléité. J'en achète
d'avance de peur d'en manquer, j'en emprunte à la bibliothèque que je n'ouvre pas
et il m'arrive d'en relire certains que j'ai oubliés entre la première et la deuxième
lecture.
Parfois même il m'arrive d'avoir totalement oublié un livre que j'ai lu et en retrouver
la connaissance alors que je le relis en ayant la certitude que le texte est sous mes
yeux pour la première fois.
Le plus surprenant est que certains livres m'ont plu au point que je les achète, et
qu'une fois en leur possession non seulement ils me tombent des mains mais
même que je me demande pourquoi je me les suis procurés.
J'ai parlé ici même de l'attraction que pouvait avoir un livre avec une belle couverture
et, sans doute parfois, ce seul argument m'en a fait acheter.
Pour qu'un livre (je me réfère toujours à l'invention de Gutemberg) rencontre l'auteur
qui l'a écrit une infinité de paramètres sont nécessaires, sans qu'ils le soient tous
au même moment et pour tout le monde.
Le fameux "temps de cerveau disponible" est valable ici aussi, même s'il est plus
digne dans ce cas.
Il est ainsi des livres dont chaque lecture et re-lecture procure un plaisir toujours
renouvelé; il en est d'autres qui ne supportent pas une seconde lecture qui détruit
la première impression et installe définitivement une prévention contre lui.
Il en est aussi qu'on n'a pas aimés à la première lecture mais dont on s'est dit:
"Ce n'est pas mal mais je ne suis pas entré dedans, mon attention n'y parvenant
pas". Instinctivement on sait qu'on est passé à côté et qu'une relecture corrigera
cela.
Il y a des livres, fêtés, reconnus, célébrés qui ne plaisent ni à la première ni à
aucune des tentatives qu'on fait pour les lire.
Inversement il y en a qui sont relegués dans l'enfer des bibliothèques parce qu'ils
sont unaniment décriés et qu'on aime dès les premières lignes.
La rencontre entre un livre et son lecteur est une alchimie miraculeuse qui
s'apparente à celle des rencontres entres les personnes.
Celle-là va vous toucher au premier regard tandis que telle autre va instinctivement
vous déplaire.
Souvent, chez un auteur reconnu, la critique a "installé" un de ses titres comme
l'étalon de sa production. Qu'il ait eu un prix ou qu'il se soit bien vendu, c'est ce
livre qu'on cite et qu'on identifie immédiatement.
Esprit de contradiction? volonté inconsciente de se démarquer? j'ai constaté que
souvent ce livre là n'est pas le meilleur, loin s'en faut, de l'auteur en question.
Ni même le plus représentatif de sa personnalité ou de son talent d'écrivain.
Je rencontre souvent des personnes ayant le même rapport passionnel avec
l'objet livre. Chez vous, Ils se dirigent tout naturellement vers les étagères qui les
contiennent et déchiffrent vite, l'air de ne pas y toucher, les reliures les plus
apparentes.
Je le fais aussi, parfois même sans m'en rendre compte, et suis souvent conforté
par le fait que les livres que je vois chez des personnes qui me plaisent me
plaisent aussi.
Ca peut être vrai pour les disques... mais c'est une autre histoire.