Depuis très longtemps je m'intéresse aux comportements meurtriers de groupes humains, hors et pendant les périodes de guerre.
Je le souviens en particulier avoir été très impressionné par le livre de:
Tout semble dit dans le titre mais je n'arrivais pas à comprendre ce qui poussait un homme "normal" à massacrer ses contemporains, que ce soit des ennemis, des civils, des opposants ou des groupes déterminés. Revenaient toujours les questions de la responsabilité individuelle, de la "civilisation", de la douleur qu'on inflige à un autre être humain, des séquelles pour l’exécutant et le fait d'avoir à vivre avec ces souvenirs-là. Sans oublier que, contrairement à ce qui se passe dans un abattoir l'être tué est de même nature que le tueur, à savoir un homme pensant. L'altérité n'est pas un concept mais une réalité.
J'ai lu des récits de massacres, j'ai vu des reportages et des documentaires, j'ai entendu des témoignages de victimes, de bourreaux et de témoins et je butais toujours non sur le pourquoi, non sur le comment, non sur les justificatifs (pendant et après coup) mais sur le "comment on peut vivre avec ça sur la conscience?"
Un livre mal écrit, mal foutu, bordélique et parfois incompréhensible m'a donné toutes les réponses à ces questions ô combien dérangeantes. Écrit par un certain Klaus Theweleit "le rire des bourreaux" (Essai sur le plaisir de tuer) (Seuil 2015) en s'appuyant principalement sur l'Etat Islamique, sur le massacre des sociaux démocrates en Norvège par un nationaliste d'extrême-droite, sur le Cambodge de Pol Pot, sur le procès d'Adolf Eichmann en 1961 donne comme raison unique le plaisir de tuer que permettent l'abolition de la responsabilité personnelle, la chosification des groupes à exécuter, l'habitude de tuer, la préparation psychologique à le faire.
On se souvient qu'au Rwanda les Tutsi n'étaient plus des hommes, des femmes, des enfants mais des "cafards" que l'on "coupait". Le vocabulaire est extrêmement important en la circonstance. Les SS ne tuaient pas des Juifs mais "traitaient" des pièces, des chiffons. Des objets.
Cette explication ne me satisfait pas complètement car certains refusaient de tirer sur des femmes ou sur des enfants. Mais, on le sait, ils n'étaient pas nombreux et la réalité est que peu s'opposèrent aux massacres. L'argument selon lequel refuser d'abattre des juifs vous condamnait au peloton d’exécution est une légende.
Le plaisir que l'homme prendrait à tuer reste cependant à nuancer: dépressions nerveuses, alcoolisme, comportements violents, cruauté, sadisme découlaient de la proximité de la mort chez les tueurs.
Cependant et les exemples du terrorisme du type ceinture d'explosifs le soulignent, les autojustifications et le plaisir de faire souffrir ceux que l'on considère comme n'ayant pas le droit de vivre (tous ceux qui ne pensent pas comme soi) donnent du sens et de la véracité à cette thèse. Décapiter au couteau un homme déclaré ennemi doit bien apporter à celui qui le fait un "plaisir" qui nous échappe. Les médecins nazis se livrant à des expériences sur des enfants vivants est du même ordre.
Lorsque j'étais enfant mon père nous avait fait visiter les ruines d'Oradour sur Glane, village de 700 personnes que les Allemands en déroute rasèrent de la carte en tuant tous les habitants. J'avais eu l'intuition que, quelques soient les prétextes évoqués par la soldatesque nazie il y avait quelque chose "en plus" qui n'était pas explicite. On ne fracasse pas la tête de bébés contre des murs sans qu'il n'y ait quelque chose d'indicible dans ce geste et que la civilisation n'empêche pas toujours.
Dans des circonstances particulières, (guerres, catastrophes...) le "vernis" de la civilisation ne fait pas que s'écailler, il peut disparaître complètement. Nos siècles de formation à l'humanisme disparaissent alors pour faire place aux instincts primaires les plus sordides. Tant il est vrai que le mal est lové au fond de chacun et peut se manifester dans des circonstances exceptionnelles.