J'avais obtenu un sursis mais n'ai pas réussi à échapper au "service militaire" qui durait alors un an. Je fus donc appelé et versé dans le service médical des armées à la base aérienne d'Essay-Les-Nancy en avril 1976.
Individualiste, vivant une quasi oisiveté à Paris, sortant beaucoup et n'étant préoccupé que de mes plaisirs je ne cacherai pas que l'appel sous les drapeaux était à mes yeux une calamité.
Outre ce qu'on en disait autour de moi je voyais surtout les possibles appelés faire des pieds et mains pour éviter l'appel sous les drapeaux. Le message était clair. Tout faire pour éviter la corvée d'un an au milieu de militaires dont la réputation était des plus négatives.
Pour un étudiant dilettante vivant ses plaisirs à Paris avec des études en Sorbonne comme alibi à peine crédible, l'idée de se retrouver au milieu de militaires, milieu exclusivement mâle et dont les libertés dépendraient désormais de sergents idiots et d'adjudants imbéciles n'était pas une perspective souriante.
Hélas je n'avais pas de "piston" et ma santé n'offrait aucune possibilité de me faire réformer. Aux "3 jours au Fort de Vincennes" je ne subis pas le sort du Duc d'Enghien mais fus déclarer apte.
Et en mars de cette année je fus convoqué afin de faire le "service national". Celui que des abrutis voudraient voir rétabli aujourd'hui.
Je passerai vite sur la déshumanisation ressentie après que les cheveux me furent coupés à 1cm et les habits civils remisés je ne sais plus où. Je fis partie d'un groupe contenant des Marseillais qui pensaient, parlaient et rêvaient football. il y avait aussi un Grenoblois agaçant, des "parigots" et d'autres représentant de régions différentes.
Les "classes" duraient alors deux mois pleins et le but en était de nous jauger en nous épuisant. Il était interdit de penser, interdit d'avoir des idées et plus encore de les exprimer. On faisait du sport à haute dose dans une campagne encore hivernale et froide. (jamais de toute ma vie je n'ai plus eu froid qu'au cours de "manoeuvres" à Mourmelon pendant une nuit dehors; même à Montréal en 2015 les -19° me semblèrent moins glacials). Après Nancy je rejoignais la base de Mulhouse-Habsheim, lieu de mon affectation. C'était l'ALAT, ou aviation légère de l'armée de terre (hélicoptères).
Les Français avec lesquels je cohabitais étaient assez primitifs. Le football, Johnny Hallyday, la sexualité (le moins qu'on puisse dire était que la femme n'était pas idéalisée...), les permissions (retour à la vie civile le temps d'un week end) et les bagnoles. Lire vous désignait pour les moqueries. Ces braves types lisaient des BD pornographiques et des "SAS", sous romans policiers.
Je résumerais cette année comme une année perdue. Les militaires de métier étaient soit des caricatures de poivrots gueulards soit des "petit marquis" à gants blancs. J'étais dans une petite caserne faite de bâtiments en acier rapatriés d'Algérie. Glacials en hiver et étouffants en été. C'était le règne d'un arbitraire imbécile et la préparation au combat était quasi inexistante: 3 passages au stand de tir, des marches de nuit et l'affaire était faite! Le "parcours du combattant" et les marches étant réservées à "l'incorporation".
Jamais de ma vie je me suis autant ennuyé qu'à l'armée. Jamais. J'ai lu, sous les moqueries ("intello") tout "Les Rougon-Macquart" de Zola. Le temps libre me le permettait.
Cette année fut atrocement longue et vers la fin je craquais un peu et fus privé de permission un week end ou deux et évitais in extremis quelques jours de plus en fin de "service militaire".
Au moment de quitter l'armée pour retourner dans le civil, j'étais "maréchal des logis" (sergent) et j'avais passé le permis de conduire. Ce dernier point est le seul vraiment positif de cette année qui m'a rendu totalement antimilitariste. J'ai eu l'impression que les militaires d'active (professionnels) étaient uniquement préoccupés de leur avancement et ne fichaient rien de leurs journées. Ils se baladaient en Citroën Méhari et jouaient au tennis.
76 fut l'année de la grande sècheresse (températures élevées) et ils filaient en douce passer leurs après midi à la piscine de Mulhouse. Après Nantes je fus en effet envoyé en Alsace. Nous étions quatre dans une chambre acceptable ce qui, j'en conviens, n'était pas la norme.
Nous écoutions de la musique qui déplaisait aux gradés et des films qu'ils désapprouvaient.
Quand je vois, lors de cérémonies officielles, ces militaires Français aux tenues impeccables je ne peux m'empêcher de penser à leurs guerres et à Mulhouse. C'est dire que je ne compte pas sur eux en cas d'attaque poutinienne!