Je suis sincère et n'exagère pas. 29 ans après qu'il nous ait quittés j'ai fait la part des choses et je n'embellis pas la réalité.
Gérard était comme le frère que j'aurais choisi si cette possibilité nous était offerte. Aujourd'hui encore je pense et m'adresse à lui comme s'il l'avait été.
Comme souvent les grandes amitiés la nôtre a commencé par une méfiance réciproque. En 1ère, classe où je l'ai rencontré, je le trouvais trop sage et trop appliqué pour être fréquentable.
Bien sur je trouvais qu'il avait de l'humour mais jusqu'à la fin de l'année nous nous regardions en chiens de faïence.
Qu'il m'empêche de copier sur lui lors d'un «contrôle» n'avait rien fait pour rapprocher nos positions. Il m'avait dit: «j'ai travaillé, tu n'as rien fichu, pourquoi faudrait il en plus t'avantager?».
Heureusement une certaine Francine (le prénom prouve mon honnêteté; si je réinventais l'histoire elle aurait changé de prénom!) et moi parlions un matin du disque de George Harrison «Dark Horse» récemment sorti. Gérard se greffa à la conversation et, lui qui était un des rares à rentrer déjeuner chez lui, me promit de profiter de ce temps pour l'enregistrer sur une cassette (je rappelle que cette histoire se passe en 1974!) et la rapporter à la reprise des cours de l'après-midi.
Ainsi fit-il et nous sommes devenus, grâce à ce disque et à «Crosby, Nash, Stills et Young» (ce dernier nom prononcé avec un fort accent marseillais) qu'il ajouta sur la cassette pour la compléter, amis jusqu'à sa disparition. Avec quelques bas mais de très beaux hauts. Qu'il ait le disque à peine sorti et qu'il me le copie m'avait bluffé.
J'ai été tout de suite conquis par sa personnalité. Il était très extraverti et dans le même temps assez lucide.
Il était cependant optimiste et joyeux et était la vedette des 1ères et des Terminales du lycée. Il était apprécié de la majorité et son activité théâtrale n'y était pas pour rien.
Il jouait alors «à la provençale», l'école de Raimu, Fernandel et Galabru. Un accent magnifique et de grand gestes.
Bien que très différents ou parce que très différents nous nous sommes tout de suite retrouvés dans l'autre et nous sommes vite devenus des amis inséparables.
Lui qui maniait facilement l'emphase disait que nous étions comme Montaigne et La Boétie: «parce que c'était lui, parce que c'était moi».
Nous avons fait mille choses ensemble avec le groupe qui gravitait dans notre entourage. Il se chargeait le plus souvent (et parfois à contrecoeur) de l'organisation et nous avons eu des moments épiques à la fête de la bière dans le jardin des Tuileries, sur la Montagne Sainte-Geneviève, à Hardelot, à Etretat, en Normandie chez Sophie Ch***, nous avons passé un jour de l'an au «Palais de la femme», nous avons été voir Supertramp et McCartney en concert, vu tous les films catastrophe du moment, (sa passion), assisté à nos mariages respectifs, écumé les restaurants et boîtes de l'époque, nous nous sommes invités à des soirées sans y être conviés, avons acheté des disques de 1974 à 1990 (notre passion) et il a été le parrain de ma fille Marine.
Nous avons passé le bac ensemble et je l'ai «regonflé» alors qu'il pensait avoir tout raté. Nous avons abordé le monde du travail et déjeunions souvent ensemble à la Madeleine, au Parc de la Villette, à la porte de Versailles.
Il était resté le même, c'est à dire une force de dérision et possédait un humour irrésistible qui le rendait unique. Il «trouvait la faille» chez tous et toutes et ses imitations étaient à mourir de rire. Il ne s'interdisait rien et tout le monde, moi compris, y passait.
Parallèlement à ce sens de l'humour il travaillait très sérieusement (Pan Am, Touring Club de France) et avait choisi le milieu du tourisme où il excellait.
Comme la bande du Splendid avec le Club Méditerranée, Gérard avait fait ses classes en faisant de l'animation sur les paquebots de croisière. Il animait comme personne une soirée ou une tablée et, un rien pervers, savait doser les inimitiés pour que l'ambiance soit ce qu'il faut d'électrique.
Fidèle en amitié comme en amours il répondait toujours présent quand on lui faisait signe.
Je le revois la veille de Noël apportant des cadeaux encombrants (un Panda en peluche plus grand qu'elle, une table de maquillage...) à ma fille et il n'oubliait jamais Nicolas.
Je ne m'étendrais pas sur ses défauts parce qu'ils étaient minimes et qu'ils ne remettaient jamais en cause notre amitié.
Je me souviens qu'il oubliait toujours quelque chose (son portefeuille, ses clés, ses cigarettes), qu'il avait du mal à dire «non» et, partant, qu'il disait «oui» à trois personnes en même temps pour faire dix choses non cumulables, qu'il adorait offrir des cadeaux aux gens qu'il aimait, souvent en dehors de toute occasion habituelle et souvent beaucoup trop beaux, qu'il avait parfois des accès de «lucidité» pendant lesquels il était très dur avec lui-même, qu'il avait un sens de la famille très prononcé, qu'il adorait le midi, la Corse, Marseille, la Provence.
Il aimait l'Histoire, les belles voitures, le «panache», la musique de danse, les bateaux, le théâtre, le cinéma, les belles fringues, la politique. Il aimait rire, danser, les grands écarts (entre l'amour et la douleur de la séparation, il ne détestait pas les disputes spectaculaires avec réconciliations théâtrales) enfin il adorait être l'organisateur indispensable de soirées mémorables.
Je me souviens de son mariage dans la chapelle marine de Saint Tropez. Là où Mick Jagger avait épousé Bianca. Anne-Marie était ce jour-là bien plus belle que la femme du chanteur des Stones.
Elle lui en a fait «baver des ronds de chapeau» mais, avec élégance, il n'en a jamais dit du mal.
J'aimais ses mots, ses trouvailles, son accent, sa personnalité et sa gentillesse. A part Nicolas, mon fils, je n'ai jamais connu quelqu'un d'aussi profondément gentil.
Le temps a fait son œuvre et je ne pense plus à lui avec tristesse. Je regarde parfois des films ou des photos sur lesquels il est et je regrette que sa vie se soit si vite interrompue.
J'ai d'autres amis, très différents de lui, je me suis remarié, mes enfants sont grands... Gérard a toujours une place. Sa place.